Coline Cuni emprunte son vocabulaire formel aux objets et aux codes de l'exposition tels que le cadre, le socle, l’estrade, la verticalité de la sculpture ou encore la permanence de l’œuvre d’art. L’étape de l’atelier est primordiale pour transformer, casser, et hybrider ces motifs initiaux. Ici, le corps de l’artiste initie et accueille à la fois les gestes : modeler, malaxer, poncer, recycler, fragmenter, font naître in fine un répertoire abstrait et minimal.
Depuis 2018, installée dans une commune rurale de Bretagne, l’artiste se saisit du nouveau territoire qui l'accueille : ses paroles, ses histoires, ses imaginaires, ses techniques aussi.
“ Sur le chantier de ma maison en terre-paille, j’ai utilisé de l’argile crue et des matières organiques, ou en tout cas réutilisables pour une nouvelle série d’objets et d’actions. Depuis, les performances et les textes que je produis évoquent des expériences mêlées de sculpture et de constructrice. J’aime déplacer, bousculer les choses et les hiérarchies instaurées, les logiques de pouvoir que je traverse, au musée comme au champ.”
Dessinant des possibles multiples, des bribes narratives ouvertes, les propositions de Coline Cuni parlent de la capacité et de ses limites, qui conduisent parfois à la chute ou à la malléabilité de la sculpture. Au centre de sa démarche, on trouve une posture manifeste où les logiques de production sont démantelées avec ironie, et toujours un regard sensible porté au déchet et à l’échec, à l’improductivité magnifiée.
Par Camille Paulhan
Diplômés 2013 Catalogue, Beaux Arts de Paris éditions, 2013.
Le travail de Coline Cuni pourrait bien inaugurer une nouvelle appellation artistique, une forme de pirouette quant au sérieux des «-ismes » : un minimalisme sensible. Compris dans ses deux acceptions, tourné vers les sens comme vers les émotions, l’adjectif est sans doute le plus complet pour décrire les sculptures de l’artiste. Les angles vifs sont adoucis par la cire, ramollis par la mousse, assouplis par des tissus.
La pensée de l’artiste est caractérisée par un certain humanisme accordé à des matériaux perçus comme des éléments vivants qu’il faut réussir à faire cohabiter, après les avoir confrontés dans le cadre expérimental de l’atelier : chaque élément est distingué de l’autre par ses qualités propres, parfois déconcertantes. Que la mousse puisse moisir ou se décolorer, que la bâche plastique puisse tomber délicatement sur le sol fait partie de cette attention portée aux outils mêmes de l’art, qui ne sont pas manipulés d’un point de vue utilitaire mais véritablement appréhendés dans toute leur complexité sensible. Mollesse comme dureté, lourdeur comme légèreté s’organisent avec générosité dans des œuvres non excluantes.
Il est aussi question de surprendre le spectateur, en le plaçant physiquement devant des matériaux qui ne sont jamais où on les attend: la céramique se meut en des formes qui semblent mâchées, la mousse paraît dure et le plâtre est poncé de façon à ressembler à du marbre. Mais chaque pièce crée son propre principe d’équivalence, et on ne s’étonnera pas de constater qu’une des formes privilégiées par Coline Cuni s’incarne dans la balance ou le trébuchet : des déséquilibres légers, mais tout se tient.
Texte de Florian Gaité
à propos de la pièce Cataracte n°3, communiqué de presse de l'exposition Bad At Sports.
L’esthétique tout en souplesse dans le travail de Coline Cuni fait elle aussi coïncider le fléchissement des corps et le relâchement de la perception. La sculpture Cataracte n°3 croise les imaginaires de la chute (du latin cataracta : « la chute d’eau ») et de la pathologie dégénérescente (la maladie est associée au vieillissement), offrant l'image d'une indolence matérielle aussi nonchalante que défaitiste.